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En Corse, un naufrage judiciaire dix ans après l’assassinat d’un haut fonctionnaire

C’était une affaire qui aurait dû marquer l’histoire de la lutte contre le système mafieux corse. L’assassinat, le 23 mars 2014, de Jean Leccia, directeur général des services du département de Haute-Corse et directeur de cabinet du président du conseil général, constituait une rare provocation à l’autorité des pouvoirs publics. Il attestait la présence de groupes criminels insulaires derrière la manne des marchés publics, et leur influence sur les décisions politiques territoriales. Le gouvernement délégua une ministre aux obsèques du haut fonctionnaire et désigna deux services enquêteurs, police et gendarmerie, pour mener l’enquête, en promettant de frapper fort.
Près de dix ans après les faits, c’est un naufrage judiciaire. Le 9 octobre 2023, le juge marseillais chargé de l’instruction, Thomas Hirth, a notifié la fin des investigations, qui n’ont donné lieu à aucune poursuite. Dès les premiers pas de l’enquête, de graves lenteurs procédurales ont annihilé toute chance de trouver des éléments incriminant les principaux suspects. Pire, les services qui devaient unir leurs forces ont poursuivi des thèses opposées, une contradiction jamais élucidée par les magistrats tour à tour chargés du dossier. Libre, désormais, à la partie civile de solliciter des actes complémentaires, puis le parquet devrait acter l’échec de la justice.
Le 23 mars 2014, à San-Gavino-di-Fiumorbo (Haute-Corse), c’est jour d’élections, le premier tour des municipales. La situation est tendue entre l’opposition, menée par Dominique Colombani, et le maire sortant, Philippe Vittori. Le premier dénonce la « gestion calamiteuse » de la mairie, le second dit faire face à un « règlement de comptes politique orchestré par Jean Leccia », dont l’une des filles soutient son opposant. Le maire l’emporte à 148 voix contre 128. Tard dans la nuit, Jean Leccia est tué dans sa voiture, alors qu’il roule vers Bastia. C’est la stupeur.
Les enquêteurs envisagent d’abord la piste locale. Outre l’ambiance délétère de la campagne des municipales à San-Gavino, ils apprennent que Jean Leccia a menacé le maire sortant, avant le scrutin, de « fermer les robinets des subventions du conseil général à San-Gavino-di-Fiumorbo ». Le maire serait, selon la police judiciaire, entouré d’une « équipe de voyous de Ghisonaccia [Haute-Corse] bénéficiant, indirectement, de cette manne financière du département ». Trois membres de cette équipe, dont Rachid Haouari, étaient au bar du village dans la soirée du dimanche fatal. Les histoires de San-Gavino font alors écho à une guerre qui a fait rage dans la Plaine orientale, de 2008 à 2012, entre groupes criminels, sur fond de bouleversement des alliances politiques locales et de marchés publics.
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